• Différents types d'humour parsèment l'œuvre de Rabelais, mais il le pratiquait également dans sa vie. Un jour que sans argent, il se trouvait à Lyon et souhaitait se rendre à Paris, il laissa en évidence plusieurs sachets de sucre qu'il intitula : « Poison pour le roi ». Il est arrêté et conduit à Paris par des gens d'armes. Le roi François 1er en rit tellement dit-on qu'il paya la note sans discuter, ce qui est à l'origine de l'expression : « le quart d'heure de Rabelais », désignant le moment délicat de régler une dette alors que l'on se trouve sans argent.

    Il est aussi considéré comme le créateur de la contrepeterie, les deux exemples les plus anciens provenant de Pantagruel : « la femme folle à la messe » et « à Beaumont-le-Vicomte ».

    source web 

     

    "Montaigne et Rabelais font tous deux partie des principaux réformateurs de l'éducation dans la France de la Renaissance. Improbable duo dira-t-on. L'art d'éduquer suppose des qualités morales, une certaine mesure, une certaine dignité capable d'impressionner dont on suppose à priori les héros rabelaisiens en être le plus dépourvus. On a dit cependant, que l'extravagance rabelaisienne cachait le désir de livrer, sous couvert d'une débauche d'esprit et de langage, une critique des moeurs et des institutions de son époque. Il faut reconnaître qu'il y parvient fort bien. L'épopée de Pantagruel est une longue satyre des vicissitudes qui étaient le lot des «escholiers» d'alors. Des «grands docteurs sophistes», il se moque en disant que «leur savoir n'estoit que besterie, et leur sapience n'estoit que moufles, abastardissant les bons et nobles esperitz, et corrompant toute fleur de jeunesse.» Gargantua ne se trouve que plus dépourvu pour avoir écouté toute sa jeunesse ces leçons. C'est Ponocrate qui, se gardant bien d'envoyer son pupille à l'Université, refera l'éducation de Gargantua selon les principes étonnamment sages de Rabelais: étude continuelle comme le pratiquait Pline l'ancien, «leçon de choses», hygiène et exercice du corps. La journée débute et se termine par l'observation des étoiles. Aux sottises des barbouillamenta Scoti, Rabelais préfère la lecture, en grec, des Moraulx de Plutarque, des «beaulx» Dialogues de Platon."

    L'éducation selon Rabelais - Gabriel Compayré 

     


    Mais qui est Alcofribas Nasier ?


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  • Quelque iour que Pantagruel se pourmenoit apres soupper avecques les compaignons par la porte dont l'on va à Paris, Il rencontra ung eschollier tout iolliet, qui venoit par icelluy chemin, & apres qu'ils se furent saluez, luy demanda. Mon amy dont viens tu à ceste heure.

         L'eschollier luy respondit. De l'alme inclyte & celebre academie, que l'on vocite Lutece.

         Qu'est-ce à dire dist Pantagruel à ung de ses gens. C'est, respondit il, de Paris. Tu viens doncques de Paris, dist il. Et à quoy passez vous le temps vous aultres messieurs estudians audict Paris.

         Respondit l'eschollier. Nous transfetons la Sequane au dilucule & crepuscule, nous deambulons par les compites & quadriviez de l'urbe, nous despumons la verbocination latiale & comme verisimiles amorabunds captons la benevolence de l'omniiuge omniforme & omnigene sexe feminin, certaines diecules nous invisons les lupanares de Champgaillard, de Mascon, de Cul de sac, de Bourbon, de Huslieu, et en ecstase Venereicque inculcons nos veretres es penitissimes recesses des pudendes de ces meretricules amicabilissimes, puis cauponizons es tabernes meritoires, de la pomme de Pin, de la Magdaleine, & de la Mulle, belles spatules vervecines perforaminées de petrofil. Et si par forte fortune y a rarité ou penurie de pecune en nos marsupiez et soyent exhaustez de metal ferrugine, pour l'escot nous dimittons nos codices & vestez oppignerées, prestolans les tabelliaires à venir des penates & lares patrioticques.

         A quoy Pantagruel dist. Quel diable de langaige est cecy. Par dieu tu es quelque hereticque.

         Seignor non, dist l'eschollier: car libentissimentent des ce qu'il illucesce quelque minutule lesche de iour ie denigre en quelqu'ung de ces tant bien architectes monstiers, et ia me irrorant de belle eaue lustrale, grignotte d'ung transon de quelque missicque precation de nos sacrificules. Et submirmillant mes precules horaires, elue & absterge mon anime de ses inquinames nocturnes, Ie revere les olympicoles, Ie venere latrialement le supernel astripotens, Ie dilige & reclame mes proximes, Ie serve les prescriptz decalogicques, et selon la facultatule de mes vires, n'en discede le late unguicule. Bien est veriforme que à cause que Mammone ne supergurgite point en mes locules, Ie suis quelque peu rare et lend à superoger les elle emosynes à ces egenes queritans leur stipe hostialement.

    Et bren bren dist Pantagruel, qu'est-ce que veult dire ce fol. Ie croy qu'il nous forge icy quelque langaige diabolicque, & qu'il nous cherme comme enchanteur.

    A quoy dist ung de ses gens. Seigneur sans nulle doubte ce gallant veult contrefaire la langue des Parisiens: mais il ne faict que escorcher le latin, & cuyde ainsi Pindariser, & luy semble bien qu'il est quelque grand orateur en françoys, par ce qu'il dedaigne l'usance commun de parler.

    A quoy dist Pantagruel. Est il vray.

         L'eschollier respondit. Seigneur, mon genie n'est point apte nate à ce que dit ce flagitiose nebulon, pour escorier la cuticule de nostre Vernacule Gallicque, mais vicecersement ie gnave opere & par veles & rames ie me enite de le locupleter de la redundance latinicome.

         Par dieu dist Pantagruel ie vous apprendray à parler. Mais devant responds moy, dont es tu.

         A quoy dist l'eschollier. L'origine primeve de mes aves & ataves fut indigene des regions lemovicques ou requiesce le corpore de l'agiotate sainct Martial.

         Ientends bien dist Pantagruel. Tu es Lymousin pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le Parisien. Or viens ça que ie te donne ung tour de peigne. Lors le print à la gorge, luy disant. Tu escorches le latin, par sainct Iehan ie te feray escorcher le renard: car ie te escorcheray tout vif.

         Lors commença le pauvre Lymousin à dire. Vée dicou gentilastre. Ho sainct Marsault adiouda mi, hau hau laissas aquau au nom de dious, et ne me touquas grou.

         A quoy dist Pantagruel. A ceste heure parles tu naturellement, & ainsi le laissa: car le pauvre Lymousin se conchyoit toutes ses chausses, qui estoient faictes à queheue de merluz, non à plain fons: dont dist Pantagruel. Sainct Alipentin corne my de bas, quelle cyvette. Au diable soit le mascherabe tant il put.

    Et ainsi le laissa mais ce luy fut ung remord toute sa vie, et tant fut alteré, qu'il disoit souvent que Pantagruel le tenoit à la gorge. Et apres quelques années mourut de la mort Roland, ce faisant la vengeance divine, et nous demonstrant ce que dit le Philosophe & Aulus Gellius, qu'il nous convient parler selon le langaige usité. Et comme disoit Cesar, qu'il faut eviter les motz absurdes en pareille diligence que les patrons de navires evitent les rochiers de la mer.


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  • Treschier fils,

    Entre les dons, graces, & prerogatives, desquelles le souverain plasmateur Dieu tout puissant a endouayré & aorné l'humaine nature à son commencement, celle me semble singuliere et excellente, par laquelle elle peult en estat mortel acquerir une espece d'immortalité, & en decours de vie transitoire perpetuer son nom & sa semence.

    Ce que est faict par lignée yssue de nous en mariage legitime. Dont nous est aulcunement instauré ce qui nous a esté tollu par le peché de nos premiers parens, esquels fut dit, que par ce qu'ils n'avoient esté obediens au commandement de dieu le createur, qu'ils mourroient: & par mort seroit reduict à neant ceste tant magnificque plasmature, en laquelle avoit esté l'homme crée.

    Mais par ce moyen de propagation seminale demeure es enfans ce que estoit de perdu es parens, & es nepveux ce que deperissoit es enfans, & ainsi successivement, iusques à l'heure du iugement final, quant Iesuchrist aura rendu à Dieu son pere son royaulme pacificque hors tout dangier & contamination de peché: car alors cesseront toutes generations & corruptions, & seront les elemens hors de leurs transmutations continues, veu que la paix desirée sera consommée & que toutes choses seront reduictes à leur fin & periode.

    Doncques non sans iuste & equitable cause ie rends graces à Dieu mon conservateur, de ce qu'il m'a donné povoir veoir mon antiquité chanue refleurir en ta ieunesse: car quand par le plaisir de celluy qui tout regist & modere, mon ame laissera ceste habitation humaine, Ie ne me reputeray point totalement mourir: mais plus tost transmigrer d'ung lieu en aulre, attendu que en toy & par toy ie demeure en mon ymage visible en ce monde, vivant, voyant, & conversant entre gens de honneur & mes amys, comme ie souloys, laquelle mienne conversation a esté, moyennant l'ayde & grace divine, non sans peché, ie le confesse: car nous pechons tous, & continuellement requerons à Dieu qu'il efface nos pechez, mais sans reprouche.

    Parquoy ainsi comme en toy demeure l'ymage de mon corps, si pareillement ne reluysoient les meurs de l'ame, l'on ne te iugeroit pas estre garde et thresor de l'immortalité de nostre nom, et le plaisir que prendroys ce voyant, seroit petit: consyderant, que la moindre partie de moy, qui est le corps, demeureroit: et que la meilleure, qui est l'ame: & par laquelle demeure nostre nom en benediction entre les hommes, seroit degenerante & abastardie.

    Ce que ie ne dys pas par defiance que ie aye de ta vertu, laquelle m'a esté ià par icy devant esprouvée, Mais pour plus fort t'encourager à proffiter de bien en mieulx. Laquelle entreprinse parfaire & consommer, il te peult assez souvenir, comment ie n'ay riens espargné: mais ainsi t'y ay ie secouru, comme si ie n'eusse aultre thresor en ce monde que de te veoir une foys en ma vie absolu & parfaict tant en vertuz, honnesteté, et preudhommie, comme en tout sçavoir liberal & honneste, et tel te laisser apres ma mort comme ung mirouer representant la personne de moy ton pere, & sinon tant excellent & tel de faict, comme ie te souhaite, certes bien tel en desir.

    Mais encores que mon feu pere de bonne memoire Grandgousier eust adonné tout son estude, à ce que ie proffitasse en toute perfection & sçavoir politicque, & que mon labeur & estude correspondit tresbien, voire encores oultrepassast son desir, toutesfois comme tu peulx bien entendre, le temps n'estoit tant ydoine ny commode es lettres, comme il est de present, et n'avoys pas copie de tels precepteurs comme tu as eu.

    Le temps estoit encores tenebreux & sentent l'infelicité & calamité des Goths, qui avoient mis à destruction toute bonne literature. Mais par la bonté divine, la lumiere & dignité a esté de mon aage rendue es lettres, & y voy tel amendement, que de present à difficulté seroys ie receu en la premiere classe des petitz grimaulx moy qui en mon aage virile estoys non à tord reputé le plus sçavant dudict siecle, ce que ie ne dys pas par iactance vaine, encores que bien ie puisse & louablement faire en t'escrivant, comme tu as l'autoricté de Marc Tulle en son livre de vieillesse, et la sentence de Plutarche au livre intitulé, comment on se peult louer sans envie: mais pour te donner affection de plus hault tendre.

    [Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées. Grecque, sans laquelle c'est honte qu'une personne se die sçavant. Hebraicque, Caldeicque, Latine. Les impressions tant elegantes et correctes en usance, qui ont esté inventées de mon aage par inspiration divine, comme à contrefil l'artillerie par suggestion diabolicque.

    Tout le monde est plain de gens sçavans, de precepteurs tresdoctes, de librairies tresamples, qu'il m'est advis que ny au temps de Platon, ny de Ciceron, ny de Papinian, n'y avoit point telle commodité d'estude qu'il y a maintenant. Et ne se fauldra plus dorenavant trouver en place ny en compaignie qui ne sera bien expoly en l'officine de Minerve.

    Ie voy les brigans, les bourreaux, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps. Il n'est pas les femmes et les filles qui ne ayent aspiré à ceste louange & à ceste manne celeste de bonne doctrine. Tant y a qu'en l'aage ou ie suis iay esté contraint d'apprendre les lettres Grecques, lesquelles ie n'avoys pas contemné comme Caton, mais ie n'avoys eu le loysir de comprendre en mon ieune aage. Et voulentiers me delecte à lire les moraulx de Plutarche, les beaulx dialogues de Platon, les monumens de Pausanias, et antiquitez de Atheneus, attendant l'heure qu'il plaira à dieu mon createur me appeler et commander yssir de ceste terre.

    Parquoy mon fils ie te admoneste que employe ta ieunesse à bien proffiter en estude. Tu es à Paris, tu as ton precepteur Epistemon, dont l'ung par vives & vocales instructions, l'aultre par louables exemples te peult endoctriner. Ientends & veulx que tu aprenes les langues parfaictement. Premierement la Grecque comme le veult Quintilian. Secondement la latine. Et puis l'Hebraicque pour les sainctes lettres, & la Chaldeicque & Arabicque pareillement: & que tu formes ton stille, quant à la Grecque, à l'imitation de Platon, quant à la Latine, à Ciceron. Qu'il n'y ait histoire que tu ne tiengne en memoire presente, à quoy te aydera la Cosmographie de ceulx qui en ont escript.

    Les ars liberaulx, Geometrie, Arismetique, & Musicque, Ie t'en donnay quelque goñt quand tu estoys encores petit en l'aage de cinq à six ans: poursuys le reste, & de Astronomie saches en tous les canons, laisse moy l'Astrologie divinatrice, et art de Lucius comme abuz et vanitez. Du droit Civil ie veulx que tu saches par cueur les beaulx textes, et me les confere avecques la philosophie.

    Et quant à la congnoissance des faitz de nature, Ie veulx que tu t'y adonne curieusement, qu'il n'y ait mer, ryviere, ny fontaine, dont tu ne congnoisse les poissons, tous les oyseaulx de l'air, tous les arbres arbustes & fructices des forestz, toutes les herbes de la terre, tous les metaulx cachez au ventre des abysmes, les pierreries de tout orient & midy, riens ne te soit incongneu. Puis songneusement revisite les livres des medecins, Grecs, Arabes, & Latins, sans contemner les Thalmudistes & Cabalistes, & par frequentes anatomyes acquiers toy parfaicte congnoissance de l'aultre monde, qui est l'homme.

    Et par quelques heures du iour comme à visiter les sainctes letttres. Premierement en Grec le nouveau testament et Epistres des apostres, & puis en Hebrieu le vieulx testament. Somme que ie voye ung abysme de science: car doresnavant que tu deviens homme & te fais grand, il te fauldra issir de ceste tranquillité & repos d'estude: & apprendre la chevalerie & les armes, pour defendre ma maison, & nos amys secourir en tous leurs affaires contre les assaulx des malfaisans. Et veulx que de brief tu essayes combien tu as proffité, ce que tu en pourras mieulx faire, que tenant conclusion en tout sçavoir publicquement envers tous & contre tous: hantant les gens lettrez, qui sont tant à Paris comme ailleurs.

    Mais par ce que selon le sage Salomon, Sapience n'entre point en ame malivole, & science sans conscience n'est que ruyne de l'ame. Il te convient servir, aymer, & craindre dieu & en luy mettre toutes tes pensées, & tout ton espoir: et par foy formée de charité estre à luy adioinct, en sorte que iamais n'en soys desemparé par peché, ayes suspectz les abuz du monde & ne metz point ton cueur à vanité: car ceste vie est transitoire: mais la parolle de Dieu demeure eternelle.

    Soys serviable à tous tes prochains, & les ayme comme toymesmes. Revere tes precepteurs, fuys les compaignies des gens esquels tu ne veulx point ressembler. Et les graces que Dieu te a données, icelles ne reçoiptz point en vain. Et quand tu congnoitras que auras tout le sçavoir de par delà acquis, retourne t'en vers moy, affin que ie te donne ma benediction devant que mourir. Mon fils la paix & grace de nostre seigneur soit avecques toy. Amen.

    De Utopie ce dix septiesme iour du moys de Mars,

    ton pere GARGANTUA.]

    Lettre de Gargantua à Pantagruel [extrait] 


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  • Très cher fils,

    […] Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées : grecque, sans laquelle c'est honte qu'une personne se dise savante, hébraïque, chaldaïque, latine; les impressions tant élégantes et correctes en usance, qui ont eté inventées de mon âge par inspiration divine, comme à contrefil l'artillerie par suggestion diabolique.

    Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, et m'est avis que, ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinian, n'était telle commodité d'étude qu'on y voit maintenant, et ne se faudra plus dorénavant trouver en place ni en compagnie, qui ne sera bien expolie en l'officine de Minerve.

    Je vois les brigands, les bourreaux, les aventuriers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prêcheurs de mon temps. Que dirai-je? Les femmes et les filles ont aspiré à cette louange et manne céleste de bonne doctrine. Tant y a qu'en l'âge où je suis, j'ai été contraint d'apprendre les lettres grecques, lesquelles je n'avais contemnées comme Caton, mais je n'avais eu loisir de comprendre en mon jeune âge; et volontiers me délecte à lire les Moraux de Plutarque, les beaux Dialogues de Platon, les Monuments de Pausanias et Antiquités de Athéneus, attendant l'heure qu'il plaira à Dieu, mon Créateur, m'appeler et commander issir de cette terre.

    Par quoi, mon fils, je t'admoneste qu'emploies ta jeunesse à bien profiter en études et en vertus. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon, dont l'un par vives et vocales instructions, l'autre par louables exemples, te peut endoctriner. J'entends et veux que tu aprennes les langues parfaitement. Premièrement la grecque comme le veut Quintilien, secondement, la latine, et puis l'hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement; et que tu formes ton style quant à la grecque, à l'imitation de Platon, quant à la latine, à Cicéron. Qu'il n'y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente, à quoi t'aidera la cosmographie de ceux qui en ont écrit.


    Des arts libéraux, géométrie, arithmétique et musique, je t'en donnai quelque goût quand tu était encore petit, en l'âge de cinq à six ans; poursuis le reste, et d'astronomie saches-en tous les canons; laisse-moi l'astrologie divinatrice et l'art de Lullius, comme abus et vanités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et me les confères avec philosophie.


    Et quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t'y adonnes curieusement : qu'il n'y ait mer, rivière ni fontaine, dont tu ne connaisses les poissons, tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, arbustes et fructices des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout Orient et Midi, rien ne te soit inconnu. Puis soigneusement revisite les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans contemner les talmudistes et cabalistes, et par fréquentes anatomies acquiers-toi parfaite connaissance de l'autre monde, qui est l'homme.

    Et par lesquelles heures du jour commence à visiter les saintes lettres, premièrement en grec Le Nouveau Testament et Epîtres des Apôtres et puis en hébreu Le Vieux Testament. Somme, que je vois un abîme de science : car dorénavant que tu deviens homme et te fais grand il te faudra issir de cette tranquillité et repos d'étude, et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison, envers tous et contre tous, et hantant les gens lettrés qui sont tant à Paris comme ailleurs.


    Mais, parce que selon le sage Salomon sapience n'entre point en âme malivole et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aimer et craindre Dieu, et en lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foi, formée de charité, être à lui adjoint en sorte que jamais n'en sois desemparé par péché. Aie suspects les abus du monde. Ne mets ton cœur à vanité, car cette vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement.

    Sois serviable à tous tes prochains et les aime comme toi-même. Révère tes précepteurs. Fuis les compagnies des gens auxquels tu ne veux point ressembler, et les grâces que Dieu t'a données, icelles ne reçois en vain. Et quand tu connaîtras que tu auras tout le savoir de par delà acquis, retourne vers moi, afin que je te voie et donne ma bénédiction devant que mourir.
    Mon fils, la paix et grâce de Notre Seigneur soit avec toi. Amen.
    D'Utopie, ce dix-septième jour du mois de mars.

    Ton père, Gargantua.


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