• Le Coeur et la Raison en Cuisine

    Il était une fois un homme qui avait ouvert un restaurant. Les lieux étaient attrayants, le menu excellent. Un de ses amis vint peu après lui dire :

    - Pourquoi n'as-tu pas d'enseigne ? Tous les restaurants en ont une. Je suggère que tu écrives dessus "RESTAURANT EXCELLENTE CUISINE".

    Quand l'enseigne fut peinte et accrochée, un autre lui dit :

    - Il te faut être plus explicite : la formule pourrait s'appliquer à n'importe quelle vieille auberge. Ajoutes les mots "SERVIE ICI" et ton enseigne sera complète.

    Le propriétaire se dit que c'était une bonne idée et fit compléter l'enseigne. Peu après, un autre curieux vint à passer.

    - Pourquoi as-tu écrit "ICI" ? interrogea-t-il. Crois-tu qu'on ne verrait pas sans ça où est ton restaurant ?

    Le restaurateur fit modifier l'enseigne. Un autre encore l'interpella :

    - Ne vois-tu pas que le mot "SERVIE" est superflu ? Tous les restaurants, toutes les boutiques servent leurs clients. Pourquoi pas l'enlever ?

    Le mot fut donc enlevé. Alors, quelqu'un fit observer :

    - Si tu tiens à garder "EXCELLENTE CUISINE", certains finiront par se demander si ta cuisne est vraiment excellente, et d'autres en disconviendront. Si tu veux te protéger contre la critique et la dispute, enlève je t'en prie le mot "EXCELLENT".

    Ce que fit le restaurateur. L'écriteau ne portait plus désormais que le mot "CUISINE". Mais un sixième individu, curieux lui aussi, passa la tête par l'embrasure de la porte :

    - Pourquoi as-tu inscrit le mot "CUISINE" sur l'enseigne deon restaurant ? Tout le monde peut voir que tu fais ici la cuisine.

    C'est ainsi que le restaurateur enleva l'enseigne. Ce faisant, il ne put s'empêcher de se demander quand viendrait l'homme affamé plutôt que curieux ou intellectuel...


    Dans cette histoire, le restaurateur est harcelé par les "hommes de raison" littéralistes, pour qui, comme pour nous tous, l'intellect est un précieux instrument. Mais la nourriture que notre homme s'efforce de fournir est "la nourriture du coeur". Dans le langage soufi, le coeur représente les facultés perceptives supérieures de l'homme.

    Le poète soufi contemporain, Khalilullah Khalili, mon très illustre compatriote, le dit ainsi :

    Quel que soit mon état, le Coeur est mon soutient;

    Dans ce royame d'existence il est mon souverain.

    uand je suis las des traîtrises de la Raison,

    Dieu sait que je suis reconnaissant à mon coeur...


     

    Idries Shah, préface d'Apprendre à Apprendre, 1978


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